« Travailler en Afrique n’est jamais simple » — Michel Didier Tadoun, entre réalités du terrain et rêves durables
Parfois, une phrase résume un continent de défis. « Travailler en Afrique n’est jamais simple. » Michel Didier Tadoun ne s’en cache pas. Il en a fait son quotidien, sa boussole et, osons le mot, sa fierté. Président-fondateur de la Tad Sports Academy à Yaoundé, recruteur Afrique pour Limassol, ancien joueur formé à la Kadji Sports Academy… il déroule un parcours qui sent la poussière des terrains, les valises toujours prêtes, les tournois U17 où tout peut basculer en 90 minutes.
Retour sur un entretien franc, sans langue de bois, sur ce que signifie former, repérer et accompagner des talents dans un écosystème aussi riche que chaotique.
De Kadji à Yaoundé: le fil rouge de la formation
Il se présente sans fioritures. Formé au Cameroun, passé par Tours en France, diplômes d’entraîneur en poche (BE1, BE2), perfectionnement en Allemagne. Puis agent, puis recruteur, avant de fonder en 2013 la Tad Sports Academy. Un choix de conviction.
« L’Afrique du foot, c’est quatre pôles: Sud, Centre, Est, Ouest. Le Nord est à part. »
Traduction: les clubs nord-africains partent souvent avec un coup d’avance – infrastructures, budgets, réseaux. Pour les autres, il faut ruser. Créer des ponts. Multiplier les passerelles.
Je le crois volontiers: on peut faire beaucoup avec peu, mais on va plus loin avec des structures.
Chasser les pépites, pas les mirages
Recruteur Afrique pour Limassol, Tadoun vit au rythme des tournois CAF (U17, U20, U23) et des appels qui s’enchaînent. On imagine la grille: intensité, compréhension du jeu, personnalité. Surtout, la fiabilité des contextes.
- Au Cameroun, s’appuyer sur des institutions comme les Brasseries du Cameroun.
- En Afrique de l’Ouest, diversifier: l’ASEC n’est plus seule, la concurrence tire tout le monde vers le haut.
- Au Sénégal, l’ascension de Génération Foot est « spectaculaire » depuis 2020.
- Au Mali, le vivier reste inépuisable: Académie JMG, Stade Malien… des écoles qui forment dans la durée.
La clé? Des partenariats qui reposent sur la confiance et des processus clairs. On ne s’arrache pas un gamin de 16 ans à sa famille « à l’ancienne ». On construit un cadre.
« Travailler en Afrique n’est jamais simple »
Il sourit un peu, puis liste: manque de transparence, instabilité des fédés, règles qui changent au milieu du match. Littéralement parfois. Ça use, mais ça forge des réflexes.
- Négocier en amont, écrire, documenter.
- Multiplier les interlocuteurs fiables.
- Prévoir un plan B, et un plan C le jour où l’aéroport ferme pour une grève surprise.
C’est peut-être ça, le professionnalisme en Afrique: une exigence mobile.
Partenariats: proximité avant promesses
Beaucoup de clubs européens — France, Scandinavie — ont sécurisé des relais locaux. Limassol, explique Tadoun, veut miser sur la proximité et la transparence. Pas de badge sur la photo pour deux posts Instagram; plutôt des engagements concrets, bilatéraux: formation des coaches, suivi médical, visibilité sur les trajectoires.
Franchement, c’est le seul modèle qui tient dans le temps.
Le cas Fi Akamba: flair, timing, conviction
Un exemple récent raconte la méthode. Un milieu formé dès 11 ans aux Brasseries du Cameroun — l’école qui a vu passer Baleba, Yondjo, Clinton N’Jie. Malgré la concurrence, Limassol a verrouillé.
- Profil: milieu box-to-box, athlétique, dans l’esprit Pape Bouba Diop.
- Usage: densifier le cœur du jeu, apporter des mètres, des transitions propres.
- Ambition: être prêt pour les joutes européennes, notamment l’UEFA Europa Conference League.
Ce n’est pas qu’un nom de plus sur une liste. C’est une pièce fonctionnelle.
Tad Sports Academy: dix ans, des trajectoires et des promesses
On connaît déjà quelques diplômés:
- Duplexe Tchamba: de Tad Sports à Strasbourg, désormais à Casa Pia (Portugal).
- Samuel Kotto: passage à Malmö, puis La Gantoise (Belgique).
Et les suivants? Deux profils déjà sous les radars:
- Un défenseur central né en 2010, suivi par le Stade Rennais.
- Un autre, né en 2006, courtisé au Portugal.
Rien n’est signé, mais l’odeur des tribunes scoutes traîne déjà autour des terrains de Yaoundé.
Formation au Cameroun: contraintes, et pourtant
Le diagnostic est connu:
- Manque de moyens: infrastructures loin des standards européens.
- Économie du “one shot”: on vend un talent, on respire, puis… plus rien. Pas de réinvestissement structuré.
Mais quelque chose bouge. Et pas qu’un peu.
- Au Bénin, d’anciens joueurs réinvestissent dans la formation.
- Au Gabon, une relance pointe après des années d’hibernation.
- Au Cameroun, Kadji et les Brasseries restent des phares, pendant que de nouvelles académies émergent: Tad Sports, Dauphine, Sims Academy (déjà en lien avec le FC Nantes).
- Au Sénégal, au-delà de Génération Foot, des clubs comme Guédiawaye confirment l’explosion du vivier.
On tient peut-être une vraie mutation, si — et c’est un grand si — les projets apprennent à durer.
Trois chantiers pour bâtir sur du solide
- Infrastructures “justes”: pas forcément des centres cinq étoiles; des terrains plats, des vestiaires sains, une salle de gym fonctionnelle.
- Compétitions régulières: sans matchs, pas de progression. Calendriers stables, arbitres formés, données de performance.
- Trajectoires protégées: contrats clairs, scolarité suivie, passerelles vers la post-formation. Le talent ne suffit pas, la structure fait le joueur.
Un directeur technique me disait un jour: « Le plus beau dribble, c’est celui qu’on fait sur la paperasse. » On en rit, mais on sait pourquoi.
Au fond, que veut dire “devenir une référence”?
Pas d’esbroufe. Former des joueurs complets, capables de sauter une étape sans se brûler. Documenter chaque progrès. Tisser un réseau qui va des U13 à l’équipe première. Et parler vrai aux familles.
C’est peut-être ça que raconte Michel Didier Tadoun, entre deux dossiers et un billet d’avion: la patience. Loin des effets spéciaux, près du terrain. Travailler en Afrique n’est jamais simple. Mais quand un gamin de 17 ans signe son premier contrat pro en regardant sa mère dans les tribunes, on se dit que ça valait chaque détour.









